L'histoire
du Prince charmant un peu niais qui cueillait les champignons à
cheval et en armure.
Texte
: Papy
IIlustrations
: Papy et Mayrig
Nouvelle
édition : novembre 2007
A,
SuperSimon
CyberJeanne
JujuTornade
Romane
Non Non
Les
super (minuscules) héros de Gogoville
Dans
une lointaine contrée, en des temps reculés, vivaient un roi et une
reine. Ils régnaient sur un immense pays, à l'abri de leur château
perché sur une montagne escarpée.
En
ce temps-là les hommes n'étaient ni pires ni meilleurs
qu'aujourd'hui. Ils vaquaient à leurs occupations. Les pauvres
naissaient pauvres, travaillaient et mouraient pauvres. Les riches
naissaient riches, faisaient travailler les pauvres et mouraient
riches. Ainsi des princes et des puissants.
Les
guerriers guerroyaient, les paysans cultivaient la terre, gavaient
les oies, sarclaient la vigne, buttaient les pommes de terre. Les
jardiniers taillaient les rosiers. Les marchands marchandaient, les
chasseurs chassaient. De hardis marins se lançaient sur les mers, à
la recherche de nouvelles contrées. Ils revenaient parfois, pleins
de récits merveilleux, d'histoires terrifiantes, les bras chargés
de trésors. Certains avaient vu des sirènes.
Les
femmes se laissaient aimer. Elles cousaient, brodaient, gouvernaient
leur nombreuse marmaille. Il leur arrivait aussi de guerroyer, de
naviguer ou d'écrire des poèmes.
Toutes,
reines, paysannes ou poétesses craignaient les guerres et priaient
pour la vie de leurs enfants et de leurs hommes. Ce n'était donc pas
très différent d'aujourd'hui.
Pourtant,
de ce qu'était la vie en ces temps anciens nous savons peu de chose.
Les hommes travaillaient dur. Peu de machines soulageaient leur
peine. Dans les champs, pas de tracteurs. Pas de métiers pour tisser
leurs vêtements, pas d'automobiles pour les transporter d'un bout à
l'autre du pays.
En
ce temps-là les hommes étaient crédules. Ils croyaient aux fées,
aux magiciens et aux enchanteurs. Et ils avaient bien raison, car ces
êtres merveilleux accompagnaient souvent leurs actes et leurs
travaux. Mais
ils n'étaient pas les seuls à se mêler des affaires humaines. Les
djinns, les elfes, les gnomes, les korrigans et les lutins
s'activaient en secret. Ils étaient bien plus besogneux que fées et
magiciens et combien plus utiles ! Que ce petit monde grouillait !
Chacun avait son métier. Les elfes creusaient la terre pour chercher
de l'or, des pierres précieuses ou de l'eau. Il leur arrivait de
trouver du pétrole. Les djinns taillaient des vêtements, surtout
des pantalons. Les gnômes, très petits et très laids, mais très
gentils, s'occupaient surtout des travaux des champs. En fait, ils se
préoccupaient essentiellement de météorologie, qui comme chacun
sait est essentielle pour l'agriculture. C'est pourquoi ils passaient
leur temps à scruter le ciel. Quant aux lutins, on lesrencontrait
surtout à l'intérieur des maisons. Chargés de l'eau et du sel, ils
se mêlaient de cuisine et de ménage. On
ne sait pas très bien à quoi s'activaient les korrigans. Des
savants prétendent qu'ils séjournaient dans de profondes cavernes,
dont ils décoraient les parois pour tromper leur ennui. Bref,
tous vivaient en harmonie avec les humains auxquels ils rendaient de
menus services. Un bouton venait-il à manquer sur une chemise ? Il
suffisait, le soir, de l'abandonner bien en évidence sur le dossier
d'une chaise pour que le lendemain matin celui-ci fût recousu. Un
djinn avait bien sûr rendu ce petit service. C'était bien pratique.
Parfois, ils aimaient faire des farces, car ils étaient plutôt
facétieux. Par exemple, ils s'amusaient à mettre la chambre des
enfants dans le plus grand désordre, pendant la nuit. Il existe
encore aujourd'hui des descendants des djinns dont la seule activité
est de mettre le plus grand désordre dans la chambre des enfants,
mais les parents refusent de croire à leur existence. Pourtant, tous
les enfants rangent soigneusement leurs affaires chaque jour,
n'est-ce pas ?
Où
vivaient-ils ? Un peu partout. Il ne faut pas oublier qu'ils étaient
minuscules et très difficiles à voir. Ils creusaient des trous dans
les murs, foraient des galeries où ils se réfugiaient la nuit. Plus
tard, quand les hommes eurent trop de machines, ils perdirent le
souvenir des lutins, des gnômes, des djinns, des korrigans et des
elfes. Ils crurent que des souris avaient creusé tous ces trous et
ils peuplèrent leurs maisons de chats. Ce fut la fin de tous ces
petits êtres magiques.
Et
les fées, les magiciens et les enchanteurs à quoi s'occupaient-ils
? Principalement à doter les hommes de qualités et de défauts, le
jour de
leur naissance. Travail harassant, car il leur fallait intervenir à
l'exact moment de la mise au monde. S'ils arrivaient en retard, leur
influence se
trouvait
considérablement réduite. Comme ils possédaient d'immenses
pouvoirs magiques, ils pouvaient se déplacer presque aussi vite que
la lumière,
mais, dans leur hâte, il leur arrivait souvent de s'égarer et le
nouveau-né en subissait les conséquences.
L'enchanteur
Merlin, le plus vieux de tous, connaissait tous les secrets de la
nature. Il apportait l'intelligence. Morgane, toujours de mauvaise
humeur délivrait la ruse et le mensonge. Mélusine offrait beauté,
douceur et gentillesse. Aucun des trois ne s'entendait avec les deux
autres. Ils se jalousaient et s'ingéniaient à s'empêcher d'agir.
Un jour, Morgane enferma Merlin dans un cercle magique dont il ne put
sortir que mille ans plus tard. Pendant cette longue période le
monde se peupla d'imbéciles.
Bon,
me direz-vous, et le Prince dans tout cela ? Nous y arrivons. Le jour
de sa naissance, Mélusine arriva la première. Il fut donc d'une
grande beauté et d'une grande douceur. Par contre, Morgane et
Merlin, qui s'étaient disputés en route, car ils n'étaient pas
d'accord sur l'itinéraire à suivre, se présentèrent très en
retard, au grand dam du Roi et de la Reine, les parents du Prince.
Celui-ci ne devint donc ni très méchant, ni très intelligent. Dans
le royaume il se murmurait même qu'il était plutôt niais. En
outre, il faut bien dire que Merlin en ces temps reculés était déjà
très vieux et un peu gâteux. Il se trompait souvent de formule
magique, ce qui donnait des résultats surprenants. Il lui arriva
souvent de doter de simples enfants de paysans d'une intelligence
bien supérieure à celle des rois.
Le
Roi et la Reine prénommèrent leur fils Evariste, dans l'espoir
qu'il devînt un grand mathématicien. Mais bientôt, le manque
d'intelligence évident du Prince désespéra le Roi. Il comptait
bien sur son fils pour lui succéder. Comment confier le royaume à
un simple d'esprit ? Il finit par ne plus s'intéresser à son
rejeton. La Reine, quant à elle, se consolait en se disant que la
gentillesse d'Evariste ne le conduirait jamais à faire la guerre. Le
temps passait et le Prince malgré sa beauté restait simple
d'esprit. Aucune belle jeune princesse des royaumes voisins ne
voulait de lui pour époux quoique son royaume fût riche.
Il
passait ses journées dans sa chambre à rêvasser devant la fenêtre
ou bien battait la campagne cueillant des fleurs ou pourchassant les
papillons.
Un
jour d'automne, alors qu'il flânait dans la forêt jouxtant le
château paternel, au milieu des arbres dorés, il lui vint une idée.
"Demain, se dit-il, dès l'aube j'irai cueillir les
champignons". Tout heureux, il se précipita au château
annoncer la nouvelle à ses parents.
Le
Roi et la Reine se trouvaient au salon, devant l'immense cheminée.
Le Roi plongé dans un très ennuyeux rapport sur les finances du
royaume ne leva même pas les yeux de son travail. A l'annonce du
projet de son fils, il se contenta de grommeler "Encore une
fantaisie !" Quant à la Reine, tout à sa broderie, elle sourit
doucement et murmura "Prends garde de ne pas t'égarer."
Déçu par cet accueil peu enthousiaste le Prince monta se coucher.
Le
lendemain matin, à l'heure où l'aurore colore à peine l'horizon,
il bondit de sa couche et alla réveiller son valet, l'Endormi. Les
princes sans valets ne sont rien. Il lui ordonna "Sors mon
cheval et prépare ma lance
et mon armure, je vais aux champignons !" Le valet, ahuri,
hasarda : "Prince, êtes-vous sûr que pour aller aux
champignons, armure et lance soient nécess.." Mais le Prince
l'interrompit grossièrement "Obéis !" Car, bien que
niais, il était autoritaire et orgueilleux, comme tous les
médiocres. Le valet s'exécuta donc, sortit le cheval de l'écurie
et le harnacha. Ensuite, il prépara l'armure et la lance et disposa
un échafaudage compliqué près de la monture du Prince. Il faut
savoir, en effet que les armures des chevaliers pesaient si lourd
qu'ils ne pouvaient monter seuls en selle. Pour les aider on
utilisait une sorte de grue, constituée d'un mât portant une poulie
dans laquelle coulissait une corde munie d'un gros crochet. Il
fallait une bonne heure pour équiper un cavalier. Suant
et gémissant, le valet parvint à hisser son maître sur son cheval.
Après
lui avoir fourni un grand panier d'osier qu'il avait enfilé sur la
lance, il fit bondir le cheval d'une grande claque sur l'arrière
train. Cavalier et monture disparurent vers le bois et le valet,
libéré de la tyrannie du Prince, retourna se coucher.
Les
bois bruissaient déjà de mille bruits, du chant des oiseaux et du
vent dans les feuilles. A l'arrivée du Prince, un silence surpris
s'installa. Il faut dire qu'il manquait un peu de discrétion. Son
cheval ahanait sous la charge, et puis, une armure de fer et de cuir,
cela grince et gémit de toutes parts. Pourtant, bien vite les
habitants de la forêt comprirent que rien ne les menaçaient, et,
ils reprirent leurs activités.
Le
Prince quant à lui se mit à scruter attentivement le sol. A chaque
fois qu'un champignon se présentait, il tentait de le piquer avec sa
lance et de le jeter dans son panier. Il avait compris, en effet que
s'il descendait de cheval, il ne pourrait jamais remonter en selle
sans l'aide de son valet. Il se penchait donc le plus possible vers
la terre couverte d'humus et de feuilles mortes, dans l'espoir
d'apercevoir les champignons. C'était un exercice fort pénible,
d'autant que la visière de son heaume, mal serrée par ce bougre de
l'Endormi, retombait devant ses yeux, à chaque fois qu'il se
penchait, rétrécissant ainsi considérablement son champ de vision.
A un moment, ce qui était inévitable se produisit. En se
redressant, Evariste le Prince heurta violemment du casque une
branche basse qu'il ne pouvait voir. Il vida les arçons dans un
grand fracas de ferraille et se retrouva au sol sans avoir compris
l'origine de sa chute. Sa monture, tout heureuse de se retrouver
libérée de sa charge, se mit tranquillement à brouter l'herbe
alentour. Le Prince, encore abasourdi, tenta de se relever en
s'appuyant sur sa lance brisée. Mais, lui et son armure pesaient
plus de deux cents livres, ce qui rendait la tâche insurmontable.
Résigné, il s'assit dans l'herbe
et entreprit de démonter sa carapace de fer, lanière après
lanière. Tout à son effort, il prit un tour de rein et la douleur
l'obligea à s'allonger. Il ferma les yeux et s'assoupit.
Il
s'éveilla soudain, car il lui avait semblé entendre une voix. Une
voix si légère qu'on aurait dit un souffle de brise. "Pauvre
Prince, comme tu
dois souffrir ! Offre-moi un baiser et je te guérirai !"; Qui
parlait donc ainsi ? Il ne vit personne. Son cheval avait disparu et
il songea, courroucé qu'il devrait rentrer à pied. Il
redressa la tête et se souleva péniblement sur un coude. Une petite
grenouille, juchée sur son plastron, le regardait attentivement. Une
magnifique petite rainette, d'un vert éclatant. Abasourdi,
écarquillant les yeux, il vit que ses lèvres bougeaient doucement.
Il approcha son oreille tout
près et l'entendit parler ! Une grenouille qui parlait ! Il se
recula effrayé, mais la rainette d'un petit bond fut près de son
oreille.
"N'aie
pas peur, benêt, je suis une princesse ensorcelée. Si tu baises ma
bouche, je redeviendrai princesse, je te soignerai et qui sait ?
peut-être t'épouserai-je ?"
L'épouser, lui dont toutes les
filles de nobles se moquaient ? Il n'osait y croire. Tout à sa joie,
il contemplait la petite grenouille. Il vit qu'en réalité elle ne
ressemblait pas tout à fait à une rainette. Celle-ci possédait de
fort jolis yeux, ce qui est le propre des jeunes princesses. Il
l'embrassa donc, sur ses lèvres humides et un peu froides. Il y eut
un grand vacarme, suivi d'un éclair bleu et d'une grande abondance
de fumée.
Quand
tout redevint calme, un joli crapaud regardait la rainette, au milieu
d'un grand déballage de pièces d'armure éparses.
Mais
que s'était-il donc passé ? Pour le comprendre, il faut revenir au
temps où la princesse fut ensorcelée. A sa naissance, l'Empereur
son père, homme éclairé et en avance sur son temps décida qu'on
se passerait des services des fées et magiciens et que sa fille
bâtirait sa destinée sur la seule vertu de ses qualités. Cela
n'eut pas l'heur de plaire et Morgane, en assemblée plénière, fut
chargée de venger l'honneur des fées en jetant un sort à la
malheureuse Princesse. Fort occupée à l'époque, elle ordonna à
l'une des nombreuses fées à son service
d'effectuer le travail. Malheureusement, celle qu'elle désigna était
une débutante, fort émotive de surcroît. Celle-ci se rendit donc
au berceau de la nouvelle-née, en cachette et bredouilla
lamentablement une formule maléfique. "Abricada, non, abracadi,
zut !" Elle finit par prononcer la phrase magique à l'envers,
ce qui, il faut le dire n'est pas très facile.
"ArbadacarbA,
Tuz de Tuz !" Ceci dit en verlan, elle s'enfuit et n'osa jamais
rien avouer à Morgane. On connaît la suite.
Tard
dans la nuit, le Roi et la Reine, inquiets de ne pas voir revenir
leur fils organisèrent des recherches. L'Endormi, enfin réveillé
parcourut la forêt en appelant son maître. On ne retrouva que le
cheval et l'armure en morceaux. Un deuil de quarante jours fut
décrété et la Reine s'enferma dans sa chambre. Le Roi, accablé de
chagrin se consola en augmentant les impôts. Puis la vie reprit le
dessus, et l'année suivante naquit un deuxième prince.
Et
la grenouille et le crapaud qu'advint-il d'eux ? Il retournèrent
près d'une mare. Ils n'eurent jamais de nombreux petits enfants, car
contrairement à ce que beaucoup croient, le crapaud n'est pas le
mari de la grenouille. Une grenouille et un crapaud, cela ne peut pas
marcher. Ce fut donc une belle histoire d'amour ratée.
La
morale de l'histoire, c'est qu'il ne faut croire ni les fées, ni les
enchanteurs.
Fin
de cette lamentable aventure.