MASSACRE
A CHARONNE
8
février 1962
Adossé
aux portières, il observait les voyageurs monter par groupes. A
mesure que le métro approchait de la Bastille, la foule se faisait
plus dense. Du fond de la voiture, il pouvait tous les voir. Nul
besoin de les interroger, c’est bien vers la même destination
qu’ils se dirigeaient. Aux arrêts personne ne descendait. Beaucoup
venaient en bandes, pancartes à la main, banderoles roulées sous le
bras, vignettes agrafées au revers du manteau ou du veston. Ils
échangeaient des réflexions joyeuses, parlaient un peu trop fort,
tout emplis de cette exaltation anxieuse qui précède les
manifestations.
Depuis quelques mois,
Paris vivait dans une fébrilité inquiète. Les attentats de l'OAS
ponctuaient de leurs explosions les nuits de la capitale. Leur liste
s'allongeait de jour en jour. Monuments publics, personnalités
connues pour leur opposition à la guerre d'Algérie, hommes
politiques constituaient des cibles désignées. La conclusion
imminente, inéluctable et logique du conflit par la reconnaissance
de l'indépendance algérienne était devenue pour la majorité des
français une évidence. L'exaspération désespérée de
l'organisation ultra s'en trouvait poussée au paroxysme. Rejetée en
France dans la clandestinité, elle ne trouvait pas le moindre
soutien dans la population et tentait désespérément d'empêcher
l'inéluctable par la terreur. En Algérie, le sang déjà séparait
irrémédiablement les deux communautés, la française et
l'algérienne. La métropole, tout au long du conflit, avait connu
les attentats. D'abord, les algériens, règlements de compte entre
organisations rivales. Maintenant, ceux de l'OAS, ceux de la
dernière heure. Les français ne voulaient plus de cette guerre sans
nom, interminable dont les conséquences avaient failli mettre en
danger les institutions républicaines. Ils voulaient en finir.
L'OAS pourtant
s'acharnait. Hier encore, la nuit avait retenti des explosions. Dix
fois. Au matin, à la une de tous les grands quotidiens, le portrait
défiguré d'une fillette, avait provoqué une houle de stupeur
indignée. Une bombe aveugle, visant un ministre, avait frappé cette
innocente. C'en était trop. Le visage ensanglanté de l'enfant avait
bouleversé l'opinion et fait lever la colère.
La rame se vidait
progressivement à l'approche du point de rassemblement. Sur les
quais un flot continu se dirigeait vers les sorties. A la Bastille le
train arriva presque sans voyageurs. Lui, était descendu à la
station précédente, le c?ur
un peu plus rapide qu'il ne l'aurait voulu. Il savait qu'il ne
fallait jamais descendre à la station de métro du point de
rassemblement car la police en bloquait souvent la sortie. Parvenu
dans la rue, il constata qu'une forte concentration policière
interdisait l'accès de la place de la Bastille et des rue
adjacentes. Comme à l'habitude la manifestation avait été
interdite, Maurice Papon, le Préfet de Police alors en place
prétextant les entraves à la circulation ! La foule tournait
le dos au barrage et s'écoulait calmement et silencieusement par le
boulevard Beaumarchais, noir de monde, en direction de la République.
Plus elle avançait plus elle devenait compacte. Les manifestants
marchèrent bientôt au coude à coude. Les banderoles enfin
déployées ponctuaient le flot de larges taches blanches et
oscillantes. Bientôt les premiers slogans retentirent.
Il était maintenant au
c?ur
du cortège mais l'impression d'enfermement que lui donnait la foule
le rendait mal à l'aise. Son regard ne portait pas au-delà des
rangs qui le précédaient immédiatement. Il résolut de s'extraire
du défilé et de continuer sa marche sur le trottoir où la masse
était moins dense. Il ne criait pas avec les autres.
La nuit était tombée,
ajoutant à la tension. Au bout de quelques centaines de mètres le
cortège ralentit soudain puis s'immobilisa. D'autres manifestants,
qui les avaient précédés, formaient barrage. Derrière eux, rang
après rang, la masse s'accumulait sur toute la largeur du boulevard.
Se haussant sur la pointe des pieds, il aperçut, loin devant le
barrage de police qui les bloquait. Sur plusieurs rangées les
policiers faisaient face aux manifestants. On s'affrontait du regard,
poitrine contre baudrier, aucun espace libre ne séparant les uns des
autres. Il vit que les organisateurs de la manifestation tentaient de
parlementer avec les commissaires. Les casques luisaient dans la
lumière jaunâtre des lampadaires. Au harnachement, il crut
reconnaître des gardes mobiles, mousqueton à l'épaule,
cartouchière à la ceinture. Plusieurs rangées de véhicules en
chicane en travers du boulevard, derrière les gardes faisaient
office de point d'appui et constituaient un obstacle quasiment
infranchissable. La foule continuait de se masser en un flot continu
et, inconsciente de la présence policière, exerçait une pression
de plus en plus forte sur les premiers rangs. Insensiblement, le
barrage reculait. Ceux qui se trouvaient à son contact ne parlaient
plus. Plus un cri, plus un slogan. Cet affrontement silencieux avait
quelque chose d'impressionnant et d’angoissant qui laissait
pressentir le drame imminent. Les gardes avaient saisi leur fusil à
deux mains, par le canon et la crosse, et le tenaient horizontalement
bras tendus devant eux pour tenter de freiner la progression de la
foule grossie à chaque instant de centaines de nouveaux
manifestants. Les rangées se pressaient les unes contre les autres,
créant une marée où ondulaient banderoles et drapeaux. Ceux qui
loin derrière ne pouvaient distinguer la tête du cortège
continuaient leur poussée sans cesser de crier des mots d'ordre.
"Paix-en-Algérie", "OAS-SS",
"Le-fascisme-ne-passera-pas !"
Les policiers avaient
reculé de plusieurs mètres. Sous la pression ils avaient du mal à
maintenir l'ordre de leurs rangs et leurs lignes arrières se
trouvaient maintenant acculées contre les camions sans retraite
possible. Le barrage menaçait de céder. Officiers et inspecteurs
manifestaient une évidente nervosité.
Au plus fort de la
poussée un ordre retentit, incompréhensible et brutal. Une lumière
bleue extrêmement violente émise par une batterie de projecteurs
braqués sur le cortège aveugla tout le boulevard. Surprise, la
foule hésita et relâcha sa pression et les premiers rangs tentèrent
de refluer, trop tard. La charge aussitôt ordonnée, les gardes
mobiles saisirent leur mousqueton par le canon et avancèrent,
d'abord au pas puis en courant. Les manifestants les plus avancés,
bloqués par ceux qui les suivaient furent dans l'impossibilité de
reculer. La charge les faucha, les renversant les uns par dessus les
autres. Les gens par dizaines, surpris s'effondraient sous les coups
de crosses, le visage ensanglanté. Le bruit des chocs contre les
crânes résonnait horriblement. Utilisé comme matraque le
mousqueton occasionnait d'impressionnantes blessures.
Systématiquement et méthodiquement pourchassés, acculés dans les
portes cochères, hommes et femmes s'écroulaient au sol les mains
maladroitement croisées sur la tête pour se protéger des coups.
Beaucoup restaient à terre, blessés, au milieu de minces rigoles de
sang.
La charge avait dégagé
un large espace devant elle, ce qui avait permis au reste de la
manifestation de se ressaisir et de refluer en meilleur ordre. Des
trottoirs la foule conspuait la police. Après la première charge,
une seconde, puis une autre, une autre encore, vague après vague. La
tactique policière procédait d'un plan délibéré. L'ordre de
charger la foule avait libéré une brutalité inouïe chez les
policiers. Les manifestants isolés se retrouvaient rapidement
encerclés et abattus à coups de mousquetons. La violence avait
atteint un paroxysme. Le boulevard couvert de centaines de paires de
chaussures, de lunettes broyées, d'écharpes et de vêtements
offrait un étrange spectacle.
La foule pourtant
n'abandonnait pas la rue. Fuyant les vagues policières elle se
réfugiait dans les rues adjacentes, s'encoignait dans les entrées
d'immeubles et revenait occuper le centre de la chaussée dès
qu'elle se libérait. La police avait perdu le bénéfice de la
surprise, elle frappait désormais dans un grand corps fluide qui se
dérobait aux coups. Sa fureur s'en trouvait exaspérée.
Le quartier qui s'étend
de la Bastille à la République possède une curieuse particularité.
Sur presque toute leur longueur le boulevard Beaumarchais et le
boulevard du Temple qui le prolonge vers la République, sont bordés
en contrebas par la rue Hamel. La différence de niveau entre les
voies a rendu nécessaire la construction d'escaliers d'accès en
bordure de terrasses attenantes aux boulevards. Durant les charges,
ces terrasses constituaient d'excellents refuges et la police trop
occupée à faire le vide sur la chaussée les négligeait. A chaque
vague, donc, elles s'emplissaient d'une foule compacte qui, une fois
le calme rétabli, avant la charge suivante, s'en servait comme bases
de départ pour reconquérir la rue.
On dut s'en apercevoir
dans le commandement car à partir d'un certain moment les policiers
s'efforcèrent de nettoyer également les terrasses. Ils avaient reçu
le renfort de C.R.S. Ceux-ci, plus jeunes, mieux équipés que les
gardes mobiles, se montraient beaucoup plus agressifs. Spécialement
entraînés à la répression, ils montraient une redoutable
efficacité et la foule parisienne ne les en haïssait que plus.
Casqués, le visage couvert d'un masque destiné à les protéger des
gaz lacrymogènes, revêtus d'une épaisse cape de cuir descendant
presque aux chevilles, le bras prolongé d'une matraque de près de
deux mètres, ils étaient quasiment invulnérables. C'était la
nouvelle vague des répressifs, loin des policiers quadragénaires
poussifs à la capeline plombée que l'imagerie populaire gardait
encore en mémoire. Ceux-là, les nouveaux, c'était du sérieux, du
féroce. Ils ne tardèrent pas à le démontrer.
Sous leur pression une
centaine de manifestants se trouva à un moment refoulée sur l'une
des terrasses. Celle-ci formait un rectangle dont le côté s'ouvrant
sur le boulevard était barré par la police. Des immeubles bordaient
les deux cotés perpendiculaires. Le quatrième coté, fermé par des
rambardes métalliques surplombait la rue Hamel. L'escalier, au
centre, constituait la seule échappatoire possible, bien trop
étroite. La foule emplissait complètement l'espace disponible.
Fuyant les coups elle se massait contre les rambardes. L'escalier
ralentissait dramatiquement les échappées. Ceux qui avaient réussi
à fuir s'étaient rassemblés dans la rue en contrebas, au pied de
la terrasse. Il était parmi eux, calme désormais. La violence des
affrontements avait paradoxalement dissipé son angoisse. La scène
qui se déroula soudain sous ses yeux le laissa incrédule. En haut,
la foule ne parvenait toujours pas à se dégager. La police
s'acharnait. Quelques manifestants tassés entre les rambardes et le
mur qui tentaient de s'échapper en longeant le trottoir se
retrouvèrent plaqués contre la façade d'une boutique. Une
boulangerie. Une nouvelle charge les balaya. La vitrine comprimée
par des dizaines de dos explosa soudain. Un petit groupe,
déséquilibré, fut projeté à l'intérieur, au milieu des
croissants et des petits pains. Beaucoup, gravement atteints par les
éclats de verre, ne se relevèrent pas. Les C.R.S. complètement
déchaînés poursuivaient les malheureux, blessés ou valides et
balançaient méthodiquement dans le vide ceux qu'ils parvenaient à
acculer aux rambardes. Dans la rue en bas, la foule hurlait son
indignation et se précipitait au pied des terrasses pour amortir les
chutes. Un ouvrier en bleu de travail surgit soudain, monta les
escaliers en courant et saisissant une pierre, qu'il avait dénichée
on ne sait où, la lança sur les policiers en criant : "On vous
paye, salauds !" Il n'eut que le temps de dévaler les marches
en sens inverse pour éviter un matraquage sévère.
Le temps passait. La
police tentait maintenant de dégager la rue Hamel, étroite et
bordée de voitures des deux côtés. Sur le boulevard la foule ne
cédait pas le terrain. Elle résistait. A la suite de chaque charge
des cars de police sirènes hurlantes sillonnaient la rue et les
trottoirs à toute vitesse, pourchassant les manifestants, tournoyant
dans la foule. Au cours de l'une de ces chasses, l'un d'entre eux,
imprudent, s'aventura trop loin des siens. La manifestation aussitôt
se referma sur lui et l'engloutit. De loin on put le voir tanguer
sous les assauts. Des manifestants par dizaines s'agrippèrent à ses
portes, au grillage de ses fenêtres. Sa portière avant gauche
soudain s'ouvrit et se déchira comme du papier. Les policiers
s'échappèrent par l'arrière, à l'exception du conducteur qui fut
extrait de sa cabine. Blême de peur, il brandit son arme de service
pour tenter de se dégager mais fut rapidement désarmé. On
n'aperçut plus que ses bras, un bref instant, s'agiter au-dessus des
têtes, puis il fut comme englouti par la foule. Allaient-ils le
lyncher ? Non, quelques instants plus tard, il réapparut, hirsute,
dépenaillé, s'enfuyant sous les insultes.
La police tentait
maintenant de dégager la rue Hamel, étroite et bordée de voitures
en stationnement. Les charges ne pouvaient se déployer comme sur les
boulevards. Chaque charge, comme le mascaret, balayait la chaussée
chassant la foule devant elle, puis refluait à bout de course,
aussitôt suivie par les manifestants.
Il prenait part à cet
incessant et étrange ballet. Son père lui avait dit : "Ne
cours jamais, les flics ne frappent que ceux qui fuient." A la
première charge, il maîtrisa son envie de fuir et s'efforça de
marcher le plus calmement possible décidé à vérifier la théorie
paternelle. Au début tout alla bien, policiers et manifestants le
dépassèrent en courant, les uns poursuivant les autres. Il se
félicitait déjà de l'efficacité de la méthode lorsqu'un grand
bruit de chute, accompagné d'une sensation de souffle derrière la
tête, le fit se retourner. Un C.R.S. affalé en travers du capot
d'une voiture agitait sa matraque dans sa direction. Il comprit que
son salut n'était dû qu'à la maladresse du policier. Le léger
souffle n'était rien d'autre que la matraque passant tout près de
sa nuque. C'était clair, la théorie de son père possédait une
faille. Toute la peur qu'il était parvenu à contenir se libéra
soudain et le fit détaler à toutes jambes. Lorsqu'il arrêta sa
course, essoufflé, il songea, souriant : " Il faudra que je
raconte cela à Papa !"
Ils tinrent encore la rue
une heure ou deux. La police en haut sur le boulevard, eux en bas
dans les rues adjacentes. Puis il fut décidé de rentrer. Le peuple
parisien avait amplement démontré sa détermination sans qu'il fût
nécessaire de prolonger les affrontements. La consigne parcourut les
rangs : "Dislocation ! ". Il se remémora la règle. Ne
jamais traîner et se hâter de rentrer dans le calme. La dispersion
d'une manifestation est toujours propice aux provocations policières.
Un manifestant le dépassa : "Allez viens, petit, on rentre."
Il se dirigea vers la place de la République suivant la foule. Peu à
peu la circulation automobile se rétablissait.
Sur tout le trajet on
pouvait observer la trace des affrontements, pancartes lacérées,
paires de lunettes tordues, foulards, chaussures par centaines. Des
infirmiers, le brassard marqué d'une croix rouge, s'affairaient
autour des blessés, innombrables. Un homme, distingué, en costume
strict, assis sur l'un des bancs du boulevard, la tête ensanglantée,
se penchait en avant, écartant maladroitement la chemise de son cou.
Passant tout près, il l'entendit murmurer au secouriste qui le
pansait : "Je vous en prie, prenez garde à mon col de chemise."
La maison était grande
ouverte. Dès l'entrée il fut frappé par l'atmosphère oppressante.
La chienne, contrairement à son habitude, n'était même pas venue
l'accueillir. Dans la salle de séjour, violemment éclairée, la
télévision retransmettait des images de la manifestation. Sa mère
lui tournait le dos. Elle ne l'avait pas entendu entrer. Lorsqu'il se
pencha vers elle, il la vit, hébétée. Elle mit quelques secondes à
s'extraire des images et
dit simplement :
"Il y a eu des morts."
La violence policière,
il l'avait vue à l'?uvre,
mais jamais il n'aurait imaginé qu'elle pût aboutir à des morts
d'hommes. Cela lui paraissait anachronique. Brusquement, il comprit
quelles angoisses avait dû vivre sa mère, seule à la maison tandis
que son frère, lui et son père se trouvaient quelque part dans
Paris, au milieu de la manifestation.
Les questions se
bousculaient. "Combien ? ", "Ont-ils donné des noms ?
", "Et Papa et Claude où sont-ils ? " Le journal
télévisé laissait filtrer les nouvelles par bribes. Au cours de la
soirée, le chiffre de huit morts fut annoncé. Il y avait également
de très nombreux blessés. Rien sur les circonstances. Tard dans la
soirée, le ministre de l’intérieur, Roger Frey, vint donner la
version officielle des faits. La haine au visage il accusa "les
provocateurs communistes armés de gourdins qui s'en étaient pris à
la police ! " Pauvre et tragique mensonge. On sut la vérité
quelques heures plus tard, par des témoins et des journalistes. Au
moment où un cortège se dispersait, à proximité du métro
Charonne, la police qui barrait les issues chargea brutalement et
sans préavis. Quelques élus, ceints de leur écharpe, qui s'étaient
portés en avant pour parlementer furent violemment matraqués. La
foule surprise s'enfuit en désordre. Quelques dizaines de
manifestants coururent se réfugier dans la station de métro et se
trouvèrent bloqués contre les portes fermées. Du trottoir, les
policiers jetèrent sur eux grilles en fontes servant à protéger
les arbres et lourdes tables de café avec l'évidente intention de
tuer. Par la suite, le gouvernement dut promettre de punir les
responsables. Mais il n'y eut jamais d'enquête véritable et aucun
coupable ne fut jamais découvert et a fortiori puni. On apprit
simplement que la section de policiers incriminée était
complètement infiltrée par l'OAS, ce qui n'était pas rare à
l'époque. Des témoins racontèrent que juste avant la charge les
policiers avaient scandé avec leurs pieds le slogan "Algérie
française !". Trois coups rapides, deux coups longs.
Claude rentra enfin. Il
ne savait rien. A la nouvelle, il s'assit et posa la même question :
"Et Papa ? ".
Il fallait attendre. A
minuit, sonnerie du téléphone. On se rue. La mère est la première.
"Où es-tu ? " A l'autre bout, la voix est joyeuse. "Je
suis aux Halles. On se bat. Je suis coincé dans la cabine
téléphonique. Il y a des flics partout ! " On n'eut pas le
coeur à lui expliquer. Il ne savait rien. Il se battait contre la
police et pour lui, c'était ce qui comptait le plus. "Rentre,
Geo ! ".
On avait éteint, puis
rallumé la télévision., avides de nouvelles. On voulait
comprendre. Les camarades, nombreux avaient appelé. Il fallait faire
quelque chose. Mais quoi ?
Le père, lorsqu'il
arriva, était tout excité, les yeux brillants, un peu essoufflé et
inconscient du drame. "Qu'est-ce qu'on s'est battus ! ". Il
avait toujours eu des barricades dans la tête. A le regarder narrer
la "bataille des Halles", sans leur laisser le temps de
placer un mot, ils voyaient défiler dans ses yeux tous ses rêves.
La Commune, 1848, 36, Gavroche, Octobre..
"Papa,
il y a eu huit morts. " Il s'arrêta net. On devinait que
d'autres images remplaçaient les premières. Ce n'était plus les
Trois Glorieuses, c'était la Ricamarie. Ainsi, ils pouvaient encore
tuer ? La colère succéda à l'accablement. Une nouvelle colère.
Le lendemain, la France
frappée de stupeur, s'immobilisa deux heures pour la mémoire des
siens et, cinq jours plus tard, Paris quadrillé par une police
invisible, portait, silencieux et innombrable, ses morts au Père
Lachaise.
G.
Chouteau 1995
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