Jusqu'ici nous n'avons pas cherché à élucider l'origine de la supraconductivité, les mécanismes microscopiques qui lui donnent naissance.
Il faut dire qu'elle a bien résisté ! Il a fallu attendre quarante six ans pour qu'en 1957 une théorie satisfaisante voie enfin le jour.
En 1911 quand Kamerlingh Onnes découvre la supraconductivité, il n'a pas les moyens intellectuels pour comprendre le phénomène. Comme on le verra plus loin, la supraconductivité ne peut être expliquée que dans le cadre de la mécanique quantique (comme le magnétisme, d'ailleurs) et celle-ci est encore très jeune. Elle ne s'intéresse qu'à des problèmes à une particule tel que l'électron gravitant autour du noyau d'hydrogène.
La supraconductivité est un exemple de phénomène quantique macroscopique, comme le magnétisme, c'est à dire un phénomène concernant un très grand nombre de particules en interaction, ce qu'on nommera plus tard le problème à N-corps.
Sollicité par Kamerlingh-Onnes, Einstein lui-même renoncera !
En 1922, il déclarera : "avec notre abyssale ignorance de la mécanique quantique des systèmes composés, nous sommes très loin d'être capables de composer une théorie à partir de ces vagues idées."
Les premières théories sont phénoménologiques. Elles ne s'attaquent pas aux mécanismes microscopiques de la supraconductivité.
Les frères London au début des années 30 considèrent le diamagnétisme parfait (B = 0 dans le volume du supraconducteur) comme le phénomène fondamental de la supraconductivité et supposent que c'est le supraconducteur tout entier qui doit être considéré comme un seul atome diamagnétique. C'est une avancée considérable qui doit être conidérée comme une première approche du concept de problème à N-corps.
Ils introduisent la notion de longueur de pénétration λL une des longueurs qui caractérisent un supraconducteur.
Ginzburg, Landau, Abrikosov et Gorkov fournissent une théorie associant l'électromagnétisme, la thermodynamique et la théorie des transitions de phases, dans la droite ligne de travaux de Lev Landau, la théorie GLAG. C'est une théorie très puissante dans laquelle ils introduisent la deuxième longueur caractéristique des supraconducteurs, la longueur de cohérence ξ qui permet de calculer le champ critique.
Toujours dans le cadre de cette théorie, Abrikosov prévoira l'existence des vortex et donnera le critère permettant de distinguer supraconducteurs de type I (λL < ξ) et supraconducteurs de type II (λL > ξ).
Mais c'est la théorie BCS, (Bardeen, Cooper et Schrieffer) qui apportera une lumière définitive sur l'origine microscopique de la supraconductivité en prenant appui sur deux résultats fondamentaux :
La mise en évidence de l'effet isotopique : la température critique d'un élément est plus grande que la température critique d'un isotope lourd. Une loi empirique montre que cette température varie comme 1/ √M où M est la masse atomique. Cette loi fait penser à la fréquence d'oscillation √(k/M) d'un ressort et suggère que les vibrations du réseau cristallin (phonons) jouent un rôle dans le mécanisme de la supraconductivité.
Les calculs de Fröhlich et Cooper qui montrent que des électrons peuvent se grouper deux par deux dans certaines conditions, et former des paires, les paires de Cooper, en interagissant via les vibrations du réseau cristallin (phonons).
Mais, il y a une grosse objection à cette idée : comment des électrons qui portent la même charge électrique négative et qui par conséquent subissent une forte répulsion électrostatique, peuvent-ils former des paires stables ?
Bardeen, Cooper et Schrieffer vont montrer que l'interaction via les vibrations du réseau, l'interaction électron-phonon, permet de surmonter la répulsion électrostatique.
Voyons cela avec une illustration "avec les mains" :
Les gros ronds rouges sont les atomes du réseau. En fait ce sont des ions, chargés positivement. En vert, on a figuré les électrons qui eux portent une charge négative.
En 1, deux électrons arrivent sur le réseau.
En 2, le premier électron attire un ion à cause de l'attraction coulombienne.
En 3, avant que l'ion déplacé ne soit retourné à sa position d'équilibre le deuxième électron se présente et est accéléré et "rattrape" le premier, formant ainsi une paire.
On voit qu'ainsi il n'y a pas d'interaction directe entre les électrons.
Dans la réalité, le modèle est beaucoup plus complexe. Il faut en fait que les électrons de la paire aient des vitesses opposées. De plus, leurs moments magnétiques (ou spins) doivent être en sens inverse également.
La théorie BCS explique tous les phénomènes observés de la supraconductivité, y compris l'effet Meissner.
Pour la résumer il faut quand même utiliser un peu de mathématiques. Le lecteur que les formules rebutent pourra sauter le paragraphe suivant écrit en italique.
Les principaux résultats de la théorie BCS.
Le courant est porté par des paires d'électrons, de vecteurs d'onde k et de spin S = ± 1/2 (moments magnétiques) , opposés.
La paire est une particule de spin 0 (1/2 - 1/2). C'est un boson (les électrons de spin 1/2 sont des fermions.) Contrairement aux fermions, les bosons peuvent tous se condenser dans un même état. La supraconductivité est une condensation de Bose, du nom du théoricien indien qui proposa ce concept.
Pour détruire une paire, il faut lui apporter une énergie Δ, appelé gap supraconducteur.
Les électrons de la paire se couplent via l'interaction électron-phonon U.
Le nombre N d'électrons non supraconducteurs varie comme exp(-Δ/kBT), où kB est la constante de Boltzmann, T la température.
Δ et la température critique Tc sont liés par la relation :
Δ = 1,76.kB.Tc
La température critique est donnée par l'expression : Tc = 1,14.ΘD.exp(-1/U.N), où ΘD est une caractéristique du matériau, appelée température de Debye, qui mesure sa " raideur" (plus un matériau est "raide" plus sa température de Debye est élevée). Son apparition dans l'expression de Tc est la trace de l'intervention du réseau cristallin dans le mécanisme de la supraconductivité.
La distance moyenne entre deux électrons d'une paire est la longueur de cohérence ξ dont on a parlé précédemment.
Encore un peu plus fort :
On peut définir un paramètre d'ordre Ψ de la paire d'électrons, c'est sa fonction d'onde (là, c'est de la mécanique quantique ...)
Ψ = φ (↑↓).u(r)
Elle est le produit d'un fonction d'onde de spin φ (↑↓) et d'une fonction d'onde d'espace u(r). Elle doit être impaire, ce qui signifie que si l'on intervertit les deux spins elle doit changer de signe, de même si on change r en -r. Or la fonction u(r) est paire, il faut donc que φ soit impaire, autrement dit, les deux spins de la paire sont opposés.
Cette propriété est fondamentale et permet de comprendre pourquoi un champ magnétique détruit la supraconductivité. En effet, sous champ les spins de la paire s'alignent parallèlement , avec la configuration ↑↑ et non ↑↓ ce qui la détruit.
Quelques résultats de la théorie de London et de la théorie GLAG.
Φ0 est le quantum de flux ou fluxon.
Φ0 = h /2e
h est la constante de Planck, qui intervient dans tous les problèmes de quantification, e est la charge de l'électron.
On notera que c'est la charge 2e qui figure dans cette formule, preuve que ce sont bien des paires d'électrons qui sont responsables de la conduction électrique.
Chaque vortex de la théorie GLAG contient un quantum de flux Φ0.
Champs critiques :
BC1 = Φ0.lnκ /(4π.λ2)
BC2 = Φ0 / (2π.ξ2)
avec κ = λL / ξ
Attention, λ2 et ξ2 sont à lire comme des carrés.
Les théories GLAG et BCS sont équivalentes près de Tc.
Pourquoi la résistance électrique est-elle nulle ?
Parce que la fonction d'onde du condensat des électrons possède un fonction d'onde globale dont l'extension spatiale (sa longueur d'onde) est très grande par rapport à la distance interatomique. Elle n'est donc pas perturbée par les atomes du réseau cristallin, contrairement aux électrons célibataires,dont la longueur d'onde est beaucoup plus courte.
Avons-nous fait le tour de la question ?
Non, bien sûr. Cette présentation n'est qu'une introduction. Pour aller plus loin, il faut se reporter à l'abondante littérature sur le sujet.
De plus, en 1985 eut lieu la découverte d'une nouvelle classe de supraconducteurs ayant une température critique élevée (> 30 K) . La théorie BCS est impuissante à expliquer le mécanisme d'appariement des porteurs de charge dans ces matériaux. A ce jour, il n'existe toujours pas de théorie satisfaisante.
On abordera cette question plus tard ...
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